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5 mars 2012 1 05 /03 /mars /2012 12:08

Publié en mars 2012 sur le site RH advisor, cet article est le gagnant du concours

"Vos pires moments de solitude en entretien d'embauche"

 

 

Arrivée à l’heure, j’attends... Cinq minutes. Dix minutes.

La jeune femme qui trône à l’accueil a beau m’avoir assurée que j’étais annoncée, je commence à douter. Des collaborateurs vont et viennent, tout le monde m’ignore. Je ne suis pas du tout « assortie » aux « djeun’s » débraillés de cette entreprise. Ça commence bien.

 

Quinze minutes d’attente. M’a-t’on oubliée ? Suis-je devenue une plante verte ?

Ah, tiens, non ! L’hôtesse, depuis son trône, m’autorise à monter.

Cinquième étage. Un couloir s’étend sur toute la longueur du plateau. D’un côté, des bureaux fermés. De l’autre, une immense cloison vitrée, sectionnée en « mini open-spaces », où les postes de travail, en batterie, sont tous alignés dos au couloir.

Comme des chevaux dans des stalles, des dizaines de salariés sont confinés devant leurs écrans comme devant leurs mangeoires.

A peine ai-je le temps d’observer cette étrange écurie, qu’une main se tend vers moi.

-          « Isabelle Moreau ? Excusez-moi de vous avoir fait attendre. Bonjour. »

-          « Bonjour », lui réponds-je en lui tendant la main.

 

La sienne est molle et glissante. Dans le bureau où nous nous installons, elle se présente comme la DRH de l’entreprise. Elle doit avoir 25 ou 26 ans.

Choc visuel. Je n’ai jamais observé, sur un visage, une telle épaisseur de maquillage. Elle est ripolinée, enduite, avec sous-couche, première couche, deuxième couche. Sur elle, c’est aussi spectaculaire qu’inapproprié : jeune et plutôt jolie, elle ne semble ni acnéique ni couperosée... Actionnaire chez  l’Oréal, peut-être ?

Une brève explication des activités de la société, quelques précisions sur le poste de rédactrice web à pourvoir, et elle se lève brusquement.

-          « Je vous laisse effectuer un petit test. Je reviens. »

 

Seule face à leur catalogue, je me sens comme une poule devant un couteau. Le vide. La page blanche. Satinée, monocouche, sans bavure.

Pour ne pas glisser, je me raccroche au pinceau. Non, à mon stylo : je ponds le texte accrocheur pour un week-end en amoureux... Ce n’est pas avec ça que j’aurai le Goncourt !

 

La DRH revient et s’assoit face à moi :

-          « Parlez-moi de vous, qu’est-ce qui vous a amenée à nous écrire ? »

J’expose mon parcours, mes motivations... J’explique les valeurs que nous partageons, mon goût pour le travail bien fait, mon désir fou de participer à des projets dingues avec une équipe géniale, ma passion dévorante pour le body painting et la bourrée auvergnate, mon énoooorme envie de Nesquik...

 

La DRH ne m’écoute plus. Elle fixe un point sur le mur, les yeux exorbités, l’air un peu hagard, comme si une araignée géante commençait à descendre le long du mur...

Plus tard, j’apprendrai que cette attitude est l’une des nombreuses « techniques de déstabilisation du candidat » utilisées par les recruteurs : ne pas écouter, faire autre chose quand le candidat parle pour voir comment il réagit.

Déroutée par la tournure qu’avait pris cet entretien, par les mangeoires à chevaux, les actionnaires chez l’Oréal et l’araignée géante, j’avais basculé dans une autre dimension. Groquick avait sombré dans le pot de Ripolin...

 

Fin de l’entretien paranormal. La DRH me tend de nouveau sa main extraterrestre.

Elle ne m’a pas souri une seule fois. Sans doute pour éviter d’écailler la peinture...

 

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  • Tombée dans deux marmites : celle de la langue française, et celle de confiture de ma grand-mère.
Des diplômes de Lettres et de Bernard Pivot, un insigne de la confrérie des taste-nouilles...Me voici aujourd’hui rédactrice-confiturière !
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