Les doreurs de pilule

La maison d’édition Ateliers Henry Dougier a publié en mars dernier Les doreurs de pilule.

Ce livre illustré (grand format) rassemble près de 300 définitions de métiers imaginaires, loufoques, absurdes, métiers tirés d’expressions courantes telles que « prêter à rire », « se mettre la rate au court-bouillon », « arrondir les angles », « se beurrer la raie »…

Dans l’ouvrage de Mathias Daval (la plume) et Philippe Cruyt (le pinceau), les expressions se tordent de rire, donnant naissance aux métiers correspondants : metteur de rate au court-bouillon, arrondisseur d’angles, beurreur de raie…étayés de définitions, qui s’enrichissent de références historiques (réelles), de citations (détournées), et de dessins malicieux.

Le tout forme un petit bijou de jeux de mots, de traits d’esprit, dans différents registres de langage, qui ravira celles et ceux qui aiment lire le sourire en coin…

Mais Les doreurs de pilule ne s’arrêtent pas là ! Ces connaisseurs de rayon ont, par le biais d’un concours, invité les lecteurs à devenir eux aussi créateurs de métiers :

https://lesdoreursdepilule.com/a-vous-de-jouer/

Grâce à l’aide de deux amis, j’y ai même participé, et vous livre ici notre contribution à ce concours, qui nous a transformés en fendeurs de poire, en dilateurs de rate :

Metteur de Martel en tête

Au VIII^e siècle après J.-C., l’Europe de Charlemagne connaît une structuration sociale.

En 732, son grand-père Charles Martel a battu lors de la bataille de Poitiers les armées omeyyades de l’émir Abd el Rahman. Un tel héritage obligeait Charlemagne à viser également la postérité.

Afin d’administrer ses terres, il créa un corps qui représenterait le pouvoir central dans tout l’Empire : les Missi Dominici (envoyés seigneuriaux). Se déplaçant en groupes, ils étaient peu appréciés car ils frappaient les têtes des contrevenants, parfois jusqu’à ce que mort s’en suive, en répétant : « Est-ce ainsi que tu honores le descendant de Charles Martel ? Tu dois loyauté et obéissance à ton souverain ! » Progressivement cette méthode leur conféra le surnom de « metteurs de Martel en tête ».

La charge s’est structurée jusqu’à devenir l’Administration moderne. L’expression s’est perdue mais curieusement, il reste cette impression de coup de massue après avoir eu maille à partir avec une administration.

Batteur à plate couture

Dans la Haute Couture, le batteur à plate couture désigne l’ouvrier chargé de placer le tissu sur la table de couture avant que le grand couturier ne vienne effectuer la découpe des tissus. L’ouvrier devait veiller à ce que le tissu soit bien plat et ne présente aucun pli, on disait donc qu’il devait « battre à plate couture ».

Attrapeur de melon

L’ENA, créée en 1945, a organisé, dès les premières années de son avènement, des kermesses en fin d’année scolaire afin que les familles des énarques de Strasbourg et Paris puissent se rencontrer.

L’une des animations de la kermesse consistait à attraper des melons, posés par terre, à l’aide de son entrejambe, et de parcourir ainsi, sans laisser tomber le melon, une cinquantaine de mètres.

L’épreuve était très facile et a rapidement donné lieu à l’expression bien connue des énarques : « Alors, t’as attrapé le melon ? »

Après quelques années de pratique, ce jeu jugé dégradant a été retiré des animations de la kermesse, mais on raconte qu’elle est encore pratiquée clandestinement, les énarques étant passés maîtres dans l’art d’ « attraper le melon ».

Rabatteur de caquet

Espèce aviaire proche de la perdrix, le caquet, aujourd’hui disparu, était un gibier recherché pour sa chair tendre et savoureuse.

Le rabatteur de caquet était le chasseur (à pied) chargé de débusquer ce petit volatile dans les fourrés où il nichait. L’homme, généralement de petite taille, devait savoir se montrer silencieux pour rabattre le caquet, car l’oiseau avait une ouïe très développée.

L’animal a été décimé par les chasses du Moyen Âge, le métier n’existe plus. Reste l’expression, dans laquelle le caquet désigne aujourd’hui un bavardage intempestif.

Gaston Phébus, Livre de chasse (1387-1389) :

« Le caquet est plus sage qu’aucun homme ou qu’aucune bête au monde : il a plus de sagesse et de malices à garantir sa vie (…), car il n’y a nul si bon veneur qui puisse concevoir les malices et subtilités qu’un caquet sait faire, ni il n’est ni si bon veneur ni si bons chiens qui souvent ne soient trompés en voulant forcer le caquet ; et c'est par son sens, sa malice et sa subtilité ».

Brasseur de vent

Les brasseurs de vent apparaissent à la fin du XIII^e siècle en Europe du Nord avec l’installation des premiers carreaux de fenêtre dans les châteaux forts. Ces derniers viendront remplacer les fermetures en bois qui, bien qu’isolantes du froid en hiver, n’épargnaient pas les châteaux des courants d’air. Très vite les seigneurs et leurs vassaux s’aperçurent qu’il n’y avait plus de circulation d’air frais dans l’habitat, créant les désagréments olfactifs que l’on peut aisément imaginer. Pour remédier à cela les seigneurs ont créé une nouvelle caste nommée « les brasseurs de vent » dont la tâche était de s’agiter en tous sens et sans cesse dans l’enceinte du château afin de renouveler l’air rance. Cette caste n’a pas complètement disparu, même si aujourd’hui elle n’est plus reconnue comme un corps de métier et l’expression qui en découle reste, elle, toujours bien vivante.