750 grammes
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1 septembre 2015 2 01 /09 /septembre /2015 20:07

Il faut bien le reconnaître, le cassis est beaucoup plus fastidieux que la groseille. À cueillir, s'entend.

Et puis, la groseille est tellement plus jolie, en petites billes pulpeuses, brillantes et vermeilles, serrées autour d'une gracile branche vert tilleul. Elle se cueille en grappes, et de temps en temps, il est permis d’oublier de la mettre dans le panier pour la porter à sa bouche, grappes entières. Les petits fruits rouges éclatent ensemble sous la langue, et leur tendre acidité emplit le palais tout entier.

Le cassis, c'est une autre affaire. Petites baies noires à nuances bleu nuit, les cassis ne sont pas en rangs serrés autour d’une jolie tige comme la groseille, ils se dispersent le long des branches, se tapissent sous de larges feuilles, un peu sournoisement, comme s’ils jouaient à cache-cache, et un peu avec nos nerfs aussi.

Il faut cueillir les grains un à un, s’armer de patience, les traquer, soulever les feuilles, puis, quand on les a débusqués, ne pas trembler, sinon ils s’échappent des mains, glissent entre les branches, roulent au sol.

S’ils se laissent attraper, et à condition de demeurer patient et constant, on peut espérer faire, en deux bonnes heures de temps, une belle récolte. Quelle récompense et quelle fierté de contempler cet amas de billes noir bleuté, qu’on aura pris soin de poser sur un fond de sacs en papier, histoire de ne pas tacher de noir le fond du panier !

Bien sûr, dans ce panier, une cueillette de groseilles est beaucoup plus jolie à regarder, beaucoup plus photogénique. Mais c’est en cuisine que notre petit grain aile de corbeau délivre toute sa magie colorée, exprime son essence juteuse et parfumée.

Là où la groseille est déjà un rubis à l’état brut, le cassis se révèle être une sorte de pierre philosophale du chaudron à confiture, petite bille de plomb se transmutant en améthyste profond, en topaze raisin foncé par le truchement de diverses opérations quasi alchimiques.

Pourtant, la cuisine est loin de ressembler à un antre d’alchimiste. Point de cornue ni de creuset, de pots d’onguent ou de liniments, pas de poudre de perlinpinpin ou de bave de crapaud…

En guise d’athanor, une marmite bien profonde où faire éclater les baies en les chauffant, après y avoir ajouté un verre d’eau. Dix minutes suffisent pour les faire « crever ». L’œuvre au noir, en quelque sorte. Le feu éteint, il faut à présent verser petit à petit les grains éclatés dans une autre marmite ou casserole via le tamis du presse-purée. C’est le moment de mouliner, dans un sens puis dans l’autre.

Sous la grille du presse-purée, on ne voit pas ce qui se passe. On a juste le son, le bruit mou d’une bouillie qui s’écrase et celui, plus mat, du jus qui s’écoule dans la marmite en dessous. Une opération mystérieuse s’opère, de purification, de transmutation.

Le fond de la grille du presse-purée se tapisse d’une peu ragoûtante masse noirâtre écrabouillée mais qui va exprimer – sous l’action de « la tourniqueeeeette… » – un jus pourpre foncé, lisse et brillant. C’est l’œuvre au rouge.

Une fois tous les grains pressés, il faut ajouter au jus l’équivalent de son poids en sucre. Retour de la marmite sous la flamme. Jus et sucre, bien mélangés, doivent à présent cuire à feu plus vif. La vigilance est de mise : un nuage d’écume se forme dans la marmite, et l’on n’y voit goutte sous la mousse… or le jus épaissit rapidement.

Pour vérifier qu’il a la bonne consistance, il suffit d’en verser une cuillerée dans une petite assiette ; s’il glisse lentement et se fige dans l’assiette, la gelée, parvenue à sa sublimation, est prête à être mise en pots. Du grand œuvre. Nostradamus, qui touchait sa bille en confitures autant qu’en alchimie, n’aurait pas mieux fait !

« Il y en a quelques-uns qui, pour leur donner de la couleur, y mettent du santal rouge ou des braises avec de l’eau de rose. Je vous assure qu’il ne faut ni santal ni braises, car la gelée sera rouge d’elle-même comme un rubis oriental. (…) Elle sera d’une excellence et d’une beauté surpassant toutes les gelées qui pourraient se faire au monde ».

 

Bibliographie : Le sortilège de Maltrochu (Yohan et Pirlouit) – Peyo

Traité des confitures – Nostradamus

Musique : La complainte du progrès (« la tourniquette...») – Boris Vian

Couleur : www.pourpre.com

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  • Tombée dans deux marmites : celle de la langue française, et celle de confiture de ma grand-mère.
Des diplômes de Lettres et de Bernard Pivot, un insigne de la confrérie des taste-nouilles...Me voici aujourd’hui rédactrice-confiturière !
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