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19 mars 2015 4 19 /03 /mars /2015 19:26

Nouille. Nom féminin : pâte alimentaire en forme de longue lanière mince et plate. Voici ce que le dictionnaire Larousse propose pour ces pâtes qui, à la lecture de cette maigre et peu appétissante définition de notre pourtant foisonnante semeuse de pissenlit, peuvent nous paraître aussi fades qu’insignifiantes. Cruels, les lexicographes en rajoutent une couche : Nouille. Adjectif : Personne molle, sans énergie et niaise.

Pauvre nouille ! Mince et plate quand il s’agit de pâte, molle et niaise si l’on parle de quelqu’un, elle n’est pas épargnée.

D’ailleurs, il n’y a pas que les dictionnaires qui mettent le paquet sur les nouilles. Jean-Louis Fournier nous avertit dans son livre Je vais t’apprendre la politesse, p’tit con. Au chapitre « à table avec autrui », voici ce qu’il écrit à propos des nouilles :

« La grosse nouille est placide, mais quand elle est italienne, elle est taquine, surtout quand elle s’appelle spaghetti. Elle est fuyante et sournoise, il faut beaucoup de vigilance pour ne pas la laisser s’échapper. »

Toutefois, n’en déplaise à Jean-Louis Fournier, la nouille n’est pas italienne.

 

Dans le Littré en un volume, à l’entrée « Nouilles », on trouve : (ll mouillées. Allem. Nudel) sf. pl. Espèce de pâte d’Allemagne faite avec de la farine et des œufs, et qui, par la manière dont elle est coupée, ressemble au vermicelle.

Le Dictionnaire érudit de la langue française de Larousse n’a guère mieux à dire. Tout au plus se contente-t-il d’ajouter « nouillettes » (petites nouilles coupées) entre des « nouilles au fromage » et la « personne sans énergie ».

Enfin, aucune trace de nouille dans l’Encyclopædia Universalis. Déjà qu’il n’y a pas d’entrée à « Pâtes », alors qu’il y en a une à « Parmesan » (notons qu’il ne s’agit pas ici du fromage, mais d’un élève de Le Corrège – peintre de la Renaissance italienne –, Francesco Mazzola, né à Parme, d’où son surnom de « Parmigianino »).

Bon, je vous l’accorde, les nouilles dans l'Encyclopædia Universalis, faut peut-être pas trop en demander non plus !

Non, pour trouver une littérature qui fasse la part belle aux nouilles, il faut se tourner vers des lectures plus truculentes que les dictionnaires, vers Pierre Desproges, notamment : sa plume irrévérencieuse a « sévi » dans le magazine « Cuisine et vins de France », dans une rubrique intitulée « Encore des nouilles » – le titre à lui seul est un poème –.

Rassemblées en 2014 aux éditions Les échappés, ces chroniques se présentent aujourd’hui sous forme de livre, illustré par quelques dessinateurs disparus il y a peu : Charb, Cabu, Wolinski, Tignous…

Dans Encore des nouilles (Pardon, je ne m’en lasse pas !), Pierre Desproges nous conte par le menu « le plus riche souvenir de pâtes alimentaires qu’un nouillophile puisse rêver ».

De Montréal chez des « faiseurs de nouilles italiennes » (SIC), à Ibiza où il tente de boire du Champagne vert, en passant par le nord-ouest de la Sardaigne et le « groupe ethnique des Bretons-Spaghetti », sa plume pleine de verve fait mouche à chaque fois, même quand il fustige Jean de la Fontaine, cet « emperruqué ignare » qui veut nous faire croire qu’un corbeau et un renard puissent se disputer une « moelleuse onctuosité normande ».

C’est méchant – mordant plutôt –, mais si bien écrit…et le mot « nouilles », loin d’être dédaigné de ce lexicophile averti, s’en trouve parfois curieusement anobli.

Autre littérature affichant la nouille en première de couverture : un florilège de perles de librairies recueillies précieusement par Jean-Loup Chiflet, et publié en 2004 sous le titre prometteur d’Antigone de la nouille (et autres perles de librairie). Entre « Les frères Kalachnikov » et « Les oiseaux se crashent pour mourir », ce petit livre est tout bonnement hilarant de la Baltique.

 

Mais là où la nouille atteint des sommets, c’est au cinéma. Plus précisément dans Papy fait de la résistance. La scène se passe dans un bistrot : un résistant (le Colonel Vincent, interprété par Julien Guiomar) téléphone à un autre résistant pour lui transmettre un message de la plus haute importance, qui ne doit être compris que de son interlocuteur. Un peu à la manière des messages diffusés sur Radio Londres, « les Français parlent aux Français », dans le genre « Les carottes sont cuites » ou « La pêche à la baleine est un métier dangereux ».

Julien Guiomar approche le combiné du téléphone tout près de sa bouche et dit, sur le ton de la confidence : « Le cuisinier secoue les nouilles, je répète : le cuisinier secoue les nouilles. »

Alors ? Méprisées des dictionnaires, oubliées des lexiques, négligées par les encyclopédies, peut-on affirmer pour autant que les nouilles sont injustement méconnues ? Que nenni !

Regardez bien autour de vous : en collier pour la Fête des mères, chinoises, sautées, à la vapeur, au wok, en paquets… les nouilles sont partout… Nous sommes cernés.

 

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commentaires

M
Je n'ai pas résisté bien longtemps, et l'ai dévoré !!!! Merci Madeleine pour ce truculent moment qui, je le confesse, m'a donné plus envie de manger des nouilles, même à 10h07, que de regarder l'éclipse solaire à travers les nuages...
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  • Tombée dans deux marmites : celle de la langue française, et celle de confiture de ma grand-mère.
Des diplômes de Lettres et de Bernard Pivot, un insigne de la confrérie des taste-nouilles...Me voici aujourd’hui rédactrice-confiturière !
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